J’ai grandi dans une famille de classe moyenne à Téhéran. Avant de se marier, ma mère était enseignante. Mon père était éducateur et traducteur. J’ai quatre sœurs et un frère et je suis le cinquième enfant de la famille.
Bien que nous n’étions pas une famille riche et prospère, j’ai eu une enfance très calme et heureuse. Nous n’avions pas beaucoup de jouets ou de poupées, mais nous jouions beaucoup dans notre monde imaginaire que nous avions inventé, ma petite sœur et moi.
Mon père adorait les livres. Il avait une assez grande bibliothèque à la maison. Je ne peux pas l’imaginer sans livres. Sa passion ne se limitait pas à lire des livres ; il nous encourageait toujours à lire de la littérature et de la poésie. Et il nous a acheté de nombreux livres d’histoires et nous faisait la lecture tous les soirs.
Je me souviens qu’il avait l’habitude de raconter les histoires de Little Man à ma plus jeune sœur et moi-même. J’ai découvert plus tard que la série était à propos de ses propres rêves d’enfant. Mon père venait d’une famille pauvre et a vécu une vie très dure et une enfance encore plus difficile. Il a marché de sa petite ville, située à des kilomètres de Téhéran, pour étudier le droit dans une université. Mais lorsqu’il a obtenu son diplôme, il ne pouvait pas exercer la profession d’avocat.
Il m’a toujours dit que ce n’était pas facile de juger et qu’il n’était pas convaincu de toujours pouvoir rendre justice ou ne pas prendre la bonne décision. C’est pourquoi il devenu enseignant : pour promouvoir les valeurs de tolérance et de respect. Il a notamment été directeur d’un orphelinat pour garçons. Il y passait tout son temps. Le vendredi, il nous emmenait, ma petite sœur et mo visiter l’orphelinat. C’était ma première rencontre avec des orphelins et j’ai comparé leur situation à la mienne, moi qui avait des parents et qui jouissait d’une vie heureuse. Je n’avais jamais rencontré des enfants sans maison ni famille. Et je n’arrêtais pas de demander à mon père :
-Pourquoi ?
Peut-être que ses réponses étaient au delà de la compréhension d’une petite fille, mais ils m’ont inspiré à trouver les réponses plus tard.
J’ai regardé mon père, qui passait ses vacances là-bas, à enseigner ces leçons aux orphelins. Il savait que ça leur serait utile à l’avenir, en plus de leurs leçons académiques. Il a assuré la création d’une bibliothèque dans l’orphelinat. Même si je ne savais pas lire à l’époque (je ne fréquentais pas encore l’école), je leur récitais les histoires que mon père nous avait déjà lues plusieurs fois. Je les racontais par cœur ! C’était tellement amusant pour moi et ma sœur, et surtout pour ces petits garçons.
J’ai toujours aimé les enfants et j’ai toujours aimé lire. Dans les dernières années du secondaire, j’étais fasciné par les activités sociales. C’est lorsque Samad Behrangi, un écrivain de livres pour enfants qui était également enseignant au village, est devenu populaire parmi les jeunes intellectuels à cause de ses récits qui s’élevaient contre l’injustice et l’oppression. Samad Behrangi était un activiste social, un critique, un folkloriste ainsi qu’un conteur et écrivain de la province d’Azerbaïdjan. Comme beaucoup d’autres jeunes, j’ai été influencé et très impressionné par ses livres, qui dépeignaient la vie des personnes pauvres et des enfants de villages et de villes défavorisés. J’ai particulièrement aimé l’histoire Le petit poisson noir. Le petit poisson noir vivait avec sa mère dans un petit étang au pied d’une montagne. Leur maison était derrière un rocher noir couvert de mousse, sous lequel ils dormaient la nuit. Le petit poisson avait envie de voir le clair de lune dans sa maison, ne serait-ce qu’une seule fois. Depuis plusieurs jours, le petit poisson était plongé dans ses pensées et parlait très peu. Le petit poisson noir voulait aller voir où se termine le ruisseau et ce qui se passe ailleurs.
Je n’en peux plus de nager au hasard, pour rien. Que c’est ennuyeux ! Même ici je pourrais mourir d’une minute à l’autre, alors qu’importe ! Je dois atteindre mon but : découvrir quel impact ma vie et mort auront sur la vie des autres…
(Samad Behrangi, Le petit poisson noir)
Voilà à quoi je pensais quand je suis entré comme étudiant dans une université américaine de Shiraz, où les étudiants vivaient dans de beaux dortoirs modernes sur les pentes des montagnes par les grands champs d’herbe. Mais je n’étais pas content de ma la vie là-bas. Je me sentais frustré et insatisfait.
Cette situation m’a amené à comparer constamment la vie des étudiants universitaires avec la vie des pauvres qui vivaient dans les bidonvilles. Ces bidonvilles n’étaient pas très loin de nos dortoirs. Les gens là-bas n’avaient pas d’eau potable et leurs enfants n’allaient pas à école. Encore une fois, comme quand j’étais enfant et que j’ai demandé à mon père pourquoi ces enfants vécu dans des orphelinats, je me suis demandé : Pourquoi ? Pourquoi ces gens devraient-ils vivre dans ces lieux en ruine ? Et que dois-je faire ? Quelle est ma responsabilité sociale ?
J’ai quitté l’université à 19 ans et j’ai déménagé dans un petit village du nord de l’Iran pour devenir enseignant pour les enfants qui vivaient dans la pauvreté près des forêts. Dans ce village, J’ai commencé à lire des histoires à des enfants qui n’avaient jamais eu de livres de leur vie.
A cette époque, je vivais un étrange paradoxe. D’un côté, je voulais être avec les enfants et leur lire des livres et être leur travailleur acharné et professeur dévoué, et d’autre part, je voulais être un héros qui pourrait sauver tous les enfants défavorisés. Les enfants qui étaient gardés dans les orphelinats. Les enfants qui vivaient dans des bidonvilles autour des grandes villes. Je me demandais ce que ce serait aime être juste un enseignant dans un quartier défavorisé. J’avais l’intention de faire quelque chose de beaucoup plus grand et plus important pour les enfants défavorisés. Mais j’aimais mon travail et les enfants de ce village, jusqu’au matin où je me préparais pour me rendre à l’école, lorsque j’ai été arrêté chez moi, un logement une pièce situé dans une maison de campagne. Ils m’ont menotté et emmené en voiture. Et l’école était justement sur cette route. Quand ils m’ont mis sur le siège arrière de la voiture, mes yeux ont croisé les yeux inquiets des enfants qui escaladaient le petit mur de l’école pour me voir, peut-être pour la dernière fois. Je n’oublierai jamais leurs regards nerveux. Je n’avais pas le droit de dire au revoir à ces enfants ni même leur faire signe, mais je me suis dit que j’aurais tant aimé ne pas avoir à les quitter ! Je ne l’avais jamais dit à personne mais je voulais être un héros, pas simplement un enseignant ordinaire! Même au risque d’aller en prison. Là, j’ai vu des mères qui venaient rencontrer leurs enfants tous les weekends. Leurs enfants demeuraient dans un orphelinat et visitaient leurs parents uniquement le week-end.
Au fil des semaines, j’ai planifié les histoires que je pourrais partager avec eux. Il n’y avait aucun livre ni photo. Je leur ai tricoté des gants et des chaussettes, sur lesquels j’ai fait broder des images de divers animaux avec des fils de couleur. J’ai raconté des histoires de ces animaux aux enfants et ils sont retournés à l’orphelinat avec le souvenir de ce beau monde fantastique pour la semaine.
La plus grande partie de ma jeunesse s’est passée dans ce tumulte de réflexions. Après une décennie, quand j’étais derrière les barreaux pour la deuxième fois, j’ai eu l’occasion de bien réfléchir et revoir toute ma vie et comprendre ce que je cherchais vraiment. Quand j’étais dans la cellule, tout ce que je pouvais faire, c’était me divertir avec des travaux manuels. Et parce que j’adorais peindre, j’ai essayé de peindre mes pensées avec des comprimés colorés d’analgésiques sur des cartons de savon à lessive ou en les cousant avec les fils des vêtements de mes compagnons de cellule. Une fois, alors que je cousais les pêcheurs d’Alfred Gabali, je m’imaginais ramer dans un océan turbulent comme sa peinture et j’ai cru qu’il n’y avait aucun espoir dans cette obscurité, mais ce n’était pas vrai.
J’ai découvert comment les pêcheurs avaient du mal à pêcher par temps orageux. J’ai tenté de ne pas perdre espoir, pour le retrouver à travers ces hautes vagues déferlantes et le placer comme un poisson glissant dans le filet. J’ai pris ma décision. Je ne voulais plus être ce héros. J’ai décidé de revenir sur terre et de trouver mes vraies motivations, celles qui m’inspirent et me gardent en vie. J’espérais rendre la vie des enfants défavorisés meilleure et plus belle, même si ce n’était qu’une étape.
Quand j’ai enfin été libéré, je cherchais une autre façon de suivre mes rêves. J’ai décidé de retourner à l’amour que j’avais quand j’étais institutrice du village. J’ai alors découvert l’Association IBBY en Iran et j’ai assisté à la réunion que Noushin Ansari a dirigée, ce qui m’a inspiré à étudier l’histoire de la culture de l’enfance. Ce fût un tournant dans ma vie lorsque j’étais co-chercheur et écrivain pour The Institute for Research on the History of Children’s Literature in Iran. Bien que j’aie beaucoup appris sur ma société et que j’ai pu vivre différentes expériences dans ma vie, je ne comprenais pas le lien entre le passé, le présent et le futur avant de commencer des recherches historiques. Quand je me suis plongé dans mes études, j’ai essayé de découvrir la vérité à travers des fragments de l’histoire. Retracer le travail des éducateurs iraniens dévoués, des écrivains et des militants pour les droits des enfants, et leurs incroyables progrès dans l’amélioration de la vie des enfants situation difficile à l’époque m’a appris qu’il fallait rester optimiste à travers les moments plus difficiles.
Après un demi-siècle, je voyais encore des enfants qui vivaient dans des bidonvilles, n’ayant pas beaucoup à mange et ne fréquentant pas l’école ! C’était épouvantable et scandaleux que les enfants abandonnés dans les crèches meurent parfois de négligence systématique. C’était terrible de voir des filles qui ont dû abandonner l’école et se marier alors qu’elles étaient enfants à cause de la pauvreté et du manque d’éducation de la famille. C’était terrible aussi quand nous avons rencontré des enfants qui avaient fui l’Afghanistan seuls ou avec un de leurs proches et qui cherchaient des matériaux recyclés dans les ordures pour vendre et subvenir à leurs besoins ceux de leurs familles restées en Afghanistan. J’étais profondément choqué. Mais je me suis souvenu du politicien sierra-léonais, Yvonne Aki Sawyerr, qui disait que nous avons tous la capacité de transformer la colère en un sentiment positif, en permettant à notre insatisfaction de donner naissance au changement. C’était tout à fait vrai.
L’insatisfaction m’a ouvert la voie pour planifier et orchestrer un sérieux changement. Un plan ou un programme pour le mettre en œuvre dans tout le pays par le regroupement READ WITH ME. Mais vous savez, nous sommes tous de petites communautés pari nos sociétés. Nous ne pouvons pas aider tous les enfants en crise, les enfants réfugiés, les enfants dans le besoin qu’on ne voit pas, des enfants qui n’ont pas de voix. D’accord, on ne peut pas tous les aider. Mais que diriez-vous de créer des modèles efficaces et réussis pour donner une voix aux enfants qui n’en ont pas ? Ou à ceux qui restent invisibles ?
Je pensais que, comme les organisations de secours aux sinistrés confrontées constamment à diverses crises dans diverses sociétés, nous devrions avoir des modèles de gestion des catastrophes, et surtout des modèles appropriés pour les problèmes auxquels nous faisions face ! Nous avions besoin de modèles flexibles et durables pour les enfants en crise dans différentes situations. La seule solution était de dynamiser des modèles!
Nous avons prévu des modèles pour sauver les enfants des difficultés et des ténèbres. Pour tenir les bambins dans nos bras, pour leur parler d’espoir dans les moments où ils sont laissés dans la solitude et la peur, pour ressentir la chaleur de notre existence, pour entendre notre voix, de nous regarder dans les yeux, de savoir que nous sommes là, à côté d’eux et derrière eux.
Nous avons conçu un modèle efficace pour éduquer les enfants dans les parties marginales de
Zahedan, Sistan et Baloutchistan, qui ne possèdent pas de cartes d’identité et n’ont pas accès à l’éducation. Nous avons formé des jeunes femmes vivant dans cette région pour qu’elles deviennent tutrices et enseignantes.
Nous avons développé le modèle « Lire en famille » pour promouvoir la lecture auprès de tous les membres des familles à faible revenu qui n’ont pas les moyens d’acheter des livres et qui n’ont pas accès à des livres de qualité, afin de transformer leur foyer en un haut niveau d’alphabétisation et faire de la lecture et de l’alphabétisation une partie intégrante de la vie des familles, de leur routine quotidienne.
Nous avons développé un modèle d’alphabétisation fonctionnelle maternelle pour favoriser l’autonomie des mères opprimées, négligées et analphabètes, iraniennes et afghanes, vivant dans des régions reculées, pour ainsi favoriser l’apprentissage et la lecture de leurs enfants.
Nous avons conçu et mis en œuvre divers modèles créatifs pour différents problèmes et les avons laissé tomber comme des balles rouges dans l’obscurité. Comme cette photo qui m’a été offert par Marit Törnqvist il y a quelques années. Maintenant, nous sommes déterminés à répandre de plus en plus de boules rouges dans l’obscurité pour inviter de plus en plus de personnes intéressées et dévouées à faire la promotion de la lecture, non seulement dans mon pays, mais aussi dans tous d’autres endroits où les militants des droits des enfants veulent construire un monde meilleur pour ces derniers !
Nous invitons le plus de personnes possible à s’unir derrière le pouvoir d’insatisfaction afin de faire naître un changement et faire de chaque région sur Terre un lieu sécuritaire et de paix pour les enfants du monde.
Légende de la photographie : Zohreh Ghaeni et Jane Kurtz recevant leurs récompenses des mains de Sylvia Vardel, nouvelle Présidente du comité exécutif d’IBBY et Mingzhou Zhang, Président du Comité Exécutif d’IBBY (sortant)
Discours d’acceptation : Zohreh Ghani (Iran)
Co-récipiendaire : IBBY – edition 2022 du prix iRead Outstanding Reading Promoter pour le programme Read with Me
Dropping Red Balls in the Darkness
Visionner le PowerPoint de Zohreh qui accompagnait son discours.
J’ai grandi dans une famille de classe moyenne à Téhéran. Avant de se marier, ma mère était enseignante. Mon père était éducateur et traducteur. J’ai quatre sœurs et un frère et je suis le cinquième enfant de la famille.
Bien que nous n’étions pas une famille riche et prospère, j’ai eu une enfance très calme et heureuse. Nous n’avions pas beaucoup de jouets ou de poupées, mais nous jouions beaucoup dans notre monde imaginaire que nous avions inventé, ma petite sœur et moi.
Mon père adorait les livres. Il avait une assez grande bibliothèque à la maison. Je ne peux pas l’imaginer sans livres. Sa passion ne se limitait pas à lire des livres ; il nous encourageait toujours à lire de la littérature et de la poésie. Et il nous a acheté de nombreux livres d’histoires et nous faisait la lecture tous les soirs.
Je me souviens qu’il avait l’habitude de raconter les histoires de Little Man à ma plus jeune sœur et moi-même. J’ai découvert plus tard que la série était à propos de ses propres rêves d’enfant. Mon père venait d’une famille pauvre et a vécu une vie très dure et une enfance encore plus difficile. Il a marché de sa petite ville, située à des kilomètres de Téhéran, pour étudier le droit dans une université. Mais lorsqu’il a obtenu son diplôme, il ne pouvait pas exercer la profession d’avocat.
Il m’a toujours dit que ce n’était pas facile de juger et qu’il n’était pas convaincu de toujours pouvoir rendre justice ou ne pas prendre la bonne décision. C’est pourquoi il devenu enseignant : pour promouvoir les valeurs de tolérance et de respect. Il a notamment été directeur d’un orphelinat pour garçons. Il y passait tout son temps. Le vendredi, il nous emmenait, ma petite sœur et mo visiter l’orphelinat. C’était ma première rencontre avec des orphelins et j’ai comparé leur situation à la mienne, moi qui avait des parents et qui jouissait d’une vie heureuse. Je n’avais jamais rencontré des enfants sans maison ni famille. Et je n’arrêtais pas de demander à mon père :
-Pourquoi ?
Peut-être que ses réponses étaient au delà de la compréhension d’une petite fille, mais ils m’ont inspiré à trouver les réponses plus tard.
J’ai regardé mon père, qui passait ses vacances là-bas, à enseigner ces leçons aux orphelins. Il savait que ça leur serait utile à l’avenir, en plus de leurs leçons académiques. Il a assuré la création d’une bibliothèque dans l’orphelinat. Même si je ne savais pas lire à l’époque (je ne fréquentais pas encore l’école), je leur récitais les histoires que mon père nous avait déjà lues plusieurs fois. Je les racontais par cœur ! C’était tellement amusant pour moi et ma sœur, et surtout pour ces petits garçons.
J’ai toujours aimé les enfants et j’ai toujours aimé lire. Dans les dernières années du secondaire, j’étais fasciné par les activités sociales. C’est lorsque Samad Behrangi, un écrivain de livres pour enfants qui était également enseignant au village, est devenu populaire parmi les jeunes intellectuels à cause de ses récits qui s’élevaient contre l’injustice et l’oppression. Samad Behrangi était un activiste social, un critique, un folkloriste ainsi qu’un conteur et écrivain de la province d’Azerbaïdjan. Comme beaucoup d’autres jeunes, j’ai été influencé et très impressionné par ses livres, qui dépeignaient la vie des personnes pauvres et des enfants de villages et de villes défavorisés. J’ai particulièrement aimé l’histoire Le petit poisson noir. Le petit poisson noir vivait avec sa mère dans un petit étang au pied d’une montagne. Leur maison était derrière un rocher noir couvert de mousse, sous lequel ils dormaient la nuit. Le petit poisson avait envie de voir le clair de lune dans sa maison, ne serait-ce qu’une seule fois. Depuis plusieurs jours, le petit poisson était plongé dans ses pensées et parlait très peu. Le petit poisson noir voulait aller voir où se termine le ruisseau et ce qui se passe ailleurs.
Je n’en peux plus de nager au hasard, pour rien. Que c’est ennuyeux ! Même ici je pourrais mourir d’une minute à l’autre, alors qu’importe ! Je dois atteindre mon but : découvrir quel impact ma vie et mort auront sur la vie des autres…
(Samad Behrangi, Le petit poisson noir)
Voilà à quoi je pensais quand je suis entré comme étudiant dans une université américaine de Shiraz, où les étudiants vivaient dans de beaux dortoirs modernes sur les pentes des montagnes par les grands champs d’herbe. Mais je n’étais pas content de ma la vie là-bas. Je me sentais frustré et insatisfait.
Cette situation m’a amené à comparer constamment la vie des étudiants universitaires avec la vie des pauvres qui vivaient dans les bidonvilles. Ces bidonvilles n’étaient pas très loin de nos dortoirs. Les gens là-bas n’avaient pas d’eau potable et leurs enfants n’allaient pas à école. Encore une fois, comme quand j’étais enfant et que j’ai demandé à mon père pourquoi ces enfants vécu dans des orphelinats, je me suis demandé : Pourquoi ? Pourquoi ces gens devraient-ils vivre dans ces lieux en ruine ? Et que dois-je faire ? Quelle est ma responsabilité sociale ?
J’ai quitté l’université à 19 ans et j’ai déménagé dans un petit village du nord de l’Iran pour devenir enseignant pour les enfants qui vivaient dans la pauvreté près des forêts. Dans ce village, J’ai commencé à lire des histoires à des enfants qui n’avaient jamais eu de livres de leur vie.
A cette époque, je vivais un étrange paradoxe. D’un côté, je voulais être avec les enfants et leur lire des livres et être leur travailleur acharné et professeur dévoué, et d’autre part, je voulais être un héros qui pourrait sauver tous les enfants défavorisés. Les enfants qui étaient gardés dans les orphelinats. Les enfants qui vivaient dans des bidonvilles autour des grandes villes. Je me demandais ce que ce serait aime être juste un enseignant dans un quartier défavorisé. J’avais l’intention de faire quelque chose de beaucoup plus grand et plus important pour les enfants défavorisés. Mais j’aimais mon travail et les enfants de ce village, jusqu’au matin où je me préparais pour me rendre à l’école, lorsque j’ai été arrêté chez moi, un logement une pièce situé dans une maison de campagne. Ils m’ont menotté et emmené en voiture. Et l’école était justement sur cette route. Quand ils m’ont mis sur le siège arrière de la voiture, mes yeux ont croisé les yeux inquiets des enfants qui escaladaient le petit mur de l’école pour me voir, peut-être pour la dernière fois. Je n’oublierai jamais leurs regards nerveux. Je n’avais pas le droit de dire au revoir à ces enfants ni même leur faire signe, mais je me suis dit que j’aurais tant aimé ne pas avoir à les quitter ! Je ne l’avais jamais dit à personne mais je voulais être un héros, pas simplement un enseignant ordinaire! Même au risque d’aller en prison. Là, j’ai vu des mères qui venaient rencontrer leurs enfants tous les weekends. Leurs enfants demeuraient dans un orphelinat et visitaient leurs parents uniquement le week-end.
Au fil des semaines, j’ai planifié les histoires que je pourrais partager avec eux. Il n’y avait aucun livre ni photo. Je leur ai tricoté des gants et des chaussettes, sur lesquels j’ai fait broder des images de divers animaux avec des fils de couleur. J’ai raconté des histoires de ces animaux aux enfants et ils sont retournés à l’orphelinat avec le souvenir de ce beau monde fantastique pour la semaine.
La plus grande partie de ma jeunesse s’est passée dans ce tumulte de réflexions. Après une décennie, quand j’étais derrière les barreaux pour la deuxième fois, j’ai eu l’occasion de bien réfléchir et revoir toute ma vie et comprendre ce que je cherchais vraiment. Quand j’étais dans la cellule, tout ce que je pouvais faire, c’était me divertir avec des travaux manuels. Et parce que j’adorais peindre, j’ai essayé de peindre mes pensées avec des comprimés colorés d’analgésiques sur des cartons de savon à lessive ou en les cousant avec les fils des vêtements de mes compagnons de cellule. Une fois, alors que je cousais les pêcheurs d’Alfred Gabali, je m’imaginais ramer dans un océan turbulent comme sa peinture et j’ai cru qu’il n’y avait aucun espoir dans cette obscurité, mais ce n’était pas vrai.
J’ai découvert comment les pêcheurs avaient du mal à pêcher par temps orageux. J’ai tenté de ne pas perdre espoir, pour le retrouver à travers ces hautes vagues déferlantes et le placer comme un poisson glissant dans le filet. J’ai pris ma décision. Je ne voulais plus être ce héros. J’ai décidé de revenir sur terre et de trouver mes vraies motivations, celles qui m’inspirent et me gardent en vie. J’espérais rendre la vie des enfants défavorisés meilleure et plus belle, même si ce n’était qu’une étape.
Quand j’ai enfin été libéré, je cherchais une autre façon de suivre mes rêves. J’ai décidé de retourner à l’amour que j’avais quand j’étais institutrice du village. J’ai alors découvert l’Association IBBY en Iran et j’ai assisté à la réunion que Noushin Ansari a dirigée, ce qui m’a inspiré à étudier l’histoire de la culture de l’enfance. Ce fût un tournant dans ma vie lorsque j’étais co-chercheur et écrivain pour The Institute for Research on the History of Children’s Literature in Iran. Bien que j’aie beaucoup appris sur ma société et que j’ai pu vivre différentes expériences dans ma vie, je ne comprenais pas le lien entre le passé, le présent et le futur avant de commencer des recherches historiques. Quand je me suis plongé dans mes études, j’ai essayé de découvrir la vérité à travers des fragments de l’histoire. Retracer le travail des éducateurs iraniens dévoués, des écrivains et des militants pour les droits des enfants, et leurs incroyables progrès dans l’amélioration de la vie des enfants situation difficile à l’époque m’a appris qu’il fallait rester optimiste à travers les moments plus difficiles.
Après un demi-siècle, je voyais encore des enfants qui vivaient dans des bidonvilles, n’ayant pas beaucoup à mange et ne fréquentant pas l’école ! C’était épouvantable et scandaleux que les enfants abandonnés dans les crèches meurent parfois de négligence systématique. C’était terrible de voir des filles qui ont dû abandonner l’école et se marier alors qu’elles étaient enfants à cause de la pauvreté et du manque d’éducation de la famille. C’était terrible aussi quand nous avons rencontré des enfants qui avaient fui l’Afghanistan seuls ou avec un de leurs proches et qui cherchaient des matériaux recyclés dans les ordures pour vendre et subvenir à leurs besoins ceux de leurs familles restées en Afghanistan. J’étais profondément choqué. Mais je me suis souvenu du politicien sierra-léonais, Yvonne Aki Sawyerr, qui disait que nous avons tous la capacité de transformer la colère en un sentiment positif, en permettant à notre insatisfaction de donner naissance au changement. C’était tout à fait vrai.
L’insatisfaction m’a ouvert la voie pour planifier et orchestrer un sérieux changement. Un plan ou un programme pour le mettre en œuvre dans tout le pays par le regroupement READ WITH ME. Mais vous savez, nous sommes tous de petites communautés pari nos sociétés. Nous ne pouvons pas aider tous les enfants en crise, les enfants réfugiés, les enfants dans le besoin qu’on ne voit pas, des enfants qui n’ont pas de voix. D’accord, on ne peut pas tous les aider. Mais que diriez-vous de créer des modèles efficaces et réussis pour donner une voix aux enfants qui n’en ont pas ? Ou à ceux qui restent invisibles ?
Je pensais que, comme les organisations de secours aux sinistrés confrontées constamment à diverses crises dans diverses sociétés, nous devrions avoir des modèles de gestion des catastrophes, et surtout des modèles appropriés pour les problèmes auxquels nous faisions face ! Nous avions besoin de modèles flexibles et durables pour les enfants en crise dans différentes situations. La seule solution était de dynamiser des modèles!
Nous avons prévu des modèles pour sauver les enfants des difficultés et des ténèbres. Pour tenir les bambins dans nos bras, pour leur parler d’espoir dans les moments où ils sont laissés dans la solitude et la peur, pour ressentir la chaleur de notre existence, pour entendre notre voix, de nous regarder dans les yeux, de savoir que nous sommes là, à côté d’eux et derrière eux.
Nous avons conçu un modèle efficace pour éduquer les enfants dans les parties marginales de
Zahedan, Sistan et Baloutchistan, qui ne possèdent pas de cartes d’identité et n’ont pas accès à l’éducation. Nous avons formé des jeunes femmes vivant dans cette région pour qu’elles deviennent tutrices et enseignantes.
Nous avons développé le modèle « Lire en famille » pour promouvoir la lecture auprès de tous les membres des familles à faible revenu qui n’ont pas les moyens d’acheter des livres et qui n’ont pas accès à des livres de qualité, afin de transformer leur foyer en un haut niveau d’alphabétisation et faire de la lecture et de l’alphabétisation une partie intégrante de la vie des familles, de leur routine quotidienne.
Nous avons développé un modèle d’alphabétisation fonctionnelle maternelle pour favoriser l’autonomie des mères opprimées, négligées et analphabètes, iraniennes et afghanes, vivant dans des régions reculées, pour ainsi favoriser l’apprentissage et la lecture de leurs enfants.
Nous avons conçu et mis en œuvre divers modèles créatifs pour différents problèmes et les avons laissé tomber comme des balles rouges dans l’obscurité. Comme cette photo qui m’a été offert par Marit Törnqvist il y a quelques années. Maintenant, nous sommes déterminés à répandre de plus en plus de boules rouges dans l’obscurité pour inviter de plus en plus de personnes intéressées et dévouées à faire la promotion de la lecture, non seulement dans mon pays, mais aussi dans tous d’autres endroits où les militants des droits des enfants veulent construire un monde meilleur pour ces derniers !
Nous invitons le plus de personnes possible à s’unir derrière le pouvoir d’insatisfaction afin de faire naître un changement et faire de chaque région sur Terre un lieu sécuritaire et de paix pour les enfants du monde.
Légende de la photographie : Zohreh Ghaeni et Jane Kurtz recevant leurs récompenses des mains de Sylvia Vardel, nouvelle Présidente du comité exécutif d’IBBY et Mingzhou Zhang, Président du Comité Exécutif d’IBBY (sortant)
Traduction : Nicolas Aumais
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